Annie Delpérier & Les Amis de la Poésie

 

Annie Delpérier © José Corréa

 

Dossiers


Annie Delpérier

Bernard Deson, printemps 2019

« Je vous aime tous » : lorsque ce court SMS m’est parvenu, mon cœur s’est serré car cette fois-ci j’ai senti qu’il n’y aurait pas de nouvelle rémission. Destinataire du même message d’adieu que moi, le peintre José Correa a pris ses pinceaux et tracé ce magnifique portrait d’Annie Delpérier. Trois jours plus tard, le 23 mars 2019 à 6H du matin, elle nous quittait.

Ce n’est pas sans émotion que j’évoque cette femme d’exception qui avait le talent rare de poser la lumière sur ceux qu’elle aimait qu’ils soient peintres, poètes, romanciers, historiens ou philosophes. Annie était une femme-orchestre : éditrice, traductrice, poétesse douée, productrice d’émissions de radio, meneuse de revue (littéraire) et animatrice (socio-culturelle). Et la liste n’est pas close car elle possédait d’autres cordes à son arc comme lobbyiste (elle avait un talent fou pour obtenir que telle ou telle municipalité donne un nom de rue selon ses désirs : Jean Dalba a désormais sa Promenade à Bergerac, Marc Cazalis sa bibliothèque à La Force, Simone Grignon et Jean Chèvre leur rue à Issigeac). Et Annie n’hésitait pas à s’impliquer quand une cause lui semble juste, par exemple en créant un atelier d’écriture en milieu pénitentiaire ou en aidant un poète roumain à trouver une patrie d’adoption.

Depuis 1987, date à laquelle elle a pris la direction des Amis de la Poésie de Bergerac, elle a réussi l’exploit de transformer cette association confidentielle en une multinationale du sonnet et de l’acrostiche. Mais il s’agit d’une simple pirouette verbale puisque la poésie de forme classique ne constitue qu’une infime partie de ce qu’elle a publié. Durant trente ans, des poètes du monde entier participeront à la revue La Toison d’or où seront édités dans l’une ou l’autre des collections qu’elle dirige. Le Poémier de Plein Vent et le Poémier des Succulences totalisent plus de 150 titres publiés. Je citerai, au hasard, Hédi Bouraoui (Tunisie et Canada), Victor Manuel Crespo Venezuela ou Nancy Wood (USA). A noter qu’Annie Delpérier était aussi présidente de l’Académie des Lettres et Arts du Périgord.

Ne vous y trompez pas, cette femme de caractère savait s’imposer avec onctuosité, et réussissait tout ce qu’elle entreprenait. Organisatrice hors-pair, elle a toujours su s’entourer des meilleures compétences : je pense par exemple au comédien Claude Mercutio toujours disponible pour venir – d’un coup de TGV – déclamer du Victor Hugo au Caveau de la Vinée à Bergerac. Annie s’adaptait sans effort apparent à chacun de ses interlocuteurs, et cette empathie naturelle lui a permis de tisser des liens étroits avec des personnalités aussi différentes qu’Andrée Chédid, Alain Decaux ou Marcelle Delpastre qui ne se faisaient pas prier pour venir à Bergerac.

Annie Delpérier a su également mettre son entregent au service de causes humanitaires : en 1988, elle est touchée par la détresse du poète et mathématicien roumain Florentin Smarandache, avec qui elle correspondait depuis plusieurs mois alors qu’il était bloqué dans un camp de réfugiés en Turquie après sa fuite des geôles de Ceausescu. Ni une, ni deux, Annie active ses réseaux et réussit à le mettre en relation avec des amis à elle installés à Phoenix, la famille Vandewoort. Jerry Vandewoort est vice-président de la Société Honeywell. Séduit par les qualités intellectuelles de Florentin Smarandache, il l’engage dans sa division Aérospatiale à un poste d’ingénieur ce qui lui permet d’obtenir le précieux visa. Sa femme et ses deux enfants le rejoindront en 1991. Une belle histoire qui se termine bien. Et que dire des ateliers d’écriture qu’elle a animés au Centre pénitentiaire de Mauzac pendant plusieurs mois ? Ils ont permis à de nombreux détenus sinon de se faire la belle mais au-moins de retrouver la liberté…de créer. Un spectacle a été conçu à partir de leurs œuvres et interprété par Claude Mercutio au Théâtre des Déchargeurs à Paris. Annie en était très fière, à juste titre.

En ce qui me concerne, combien de fois suis-je monté chez elle, à la Chartreuse de Pécharmant, sur ce coteau qui domine la vallée de Bergerac ? Très souvent au début des années quatre-vingt-dix, un peu moins depuis. En fait, à chaque fois que j’avais une idée ou un projet, je me faisais un point d’honneur de le soumettre à Annie Delpérier. Elle m’écoutait attentivement sans jamais chercher à me décourager, même quand je voyais trop grand. Ses conseils étaient toujours pertinents et elle m’a souvent fait profiter de son carnet d’adresses. A l’occasion, elle acceptait de m’écrire un article ou, plus rarement, de me confier un poème car, si elle a largement contribué à faire connaître la poésie des autres, la sienne constituait sa part secrète. En cet instant si je pense avec tristesse à l’amie que je viens de perdre, je mesure aussi à quel point certains êtres sont irremplaçables tant est précieux ce qu’ils apportent aux autres. Et son « je vous aime tous » résume à merveille la philosophie de vie d’une femme à la générosité sans limite. ♦


Pour Annie

 

Alain Lacouchie, septembre 2019

« Au plus eslevé throne du monde si ne sommes-nous assis que sus nostre cul » Montaigne.

 

Mon émotion résonne d’un tonnerre : j’ignorais le décès d’Annie ! Mon émotion s’amplifie de mes souvenirs, toujours heureux, parmi lesquels elle occupe la meilleure place : combien de rires, combien de complicités, combien de pastels poétiques avons-nous partagés ?! Car Annie savait toucher l’être humain, elle savait l’écouter, le serrer dans les bras de sa bienveillance et lui ouvrir la vie de son rire sonore et franc. Cela s’appelle l’attention aux autres. En cette période où la haine est partout présente, c’est une attitude envers autrui qui va me manquer.

Ma raison structure mon admiration pour cette grande dame qui savait déguster la poésie, qui savait la défendre aussi ; qui la défendait avec ardeur. J’ai eu la chance qu’elle publie quelques-uns de mes recueils et que, ce faisant, je sois honoré par le Consulat de la Vinée de Bergerac !

Hommage soit rendu à son travail dont Le Poémier de plein vent est un des aspects les plus évidents. Elle a su, modestement, attirer dans les filets de sa maison d’édition des grands noms de la poésie contemporaine. Inutile de dire que son action en faveur de la poésie était / est connue de tous les poètes.

Annie, c’est une évidence, me manquera. Sa joie de vivre me manquera, son écoute attentive me manquera, sa vivacité intellectuelle me manquera.

Laissez-moi me taire : j’ai besoin de penser, seul. ♦


Au ciel des événements

 (En souvenir d’Annie Delpérier, présidente des Amis de la Poésie, à Bergerac.)

 

Danièle Labatzuzan

 

« Je travaille dans l’événementiel. »

J’adore cette expression qui veut tout dire. Ou rien. J’adore aussi la tenue des gens qui travaillent dans l’événementiel, des trentenaires, pour la plupart : jean hors de prix, chemise sans cravate et veston pour les hommes – décontract, quoi –, jupe et petite veste cintrée pour les femmes. Enfin, à quelque chose près.

Je vais vous en donner, moi, de l’événementiel. Et du beau, du surprenant, du convivial.

Je fais partie d’une société de poésie. Qui ne se limite pas à la poésie, d’ailleurs, puisqu’elle s’étend aussi à la vaste littérature française et étrangère, la peinture, la musique, la danse. Et, comme toutes ces activités creusent et donnent soif, à la mini-restauration (sur place, pas à emporter.)

Revue. Journées de poésie. Présentations de romans. Emissions de radio. Expositions de peinture. Conférences. Récitals de chanteurs et chanteuses. Spectacles de danseurs et danseuses. Vins d’honneur et collations d’après-spectacle. Concours de poésie, nouvelles, contes et, sur la lancée, remises de prix dudit concours.

Et là, notre présidente, sereine, royale – la cafetière toujours en ébullition et il y a de quoi ! – gère de main de maître le déroulement des événements. Et ce n’est pas de la tarte, vous pouvez me croire !

Location de la salle qui nous accueillera – et les salles qui ont déjà les tables et les chaises empilées dans un coin, et le coin-cuisine, c’est bien. Très bien.  

Quand ces sympathiques salles ne sont pas libres, trouver un lieu agréable. Les tables et les chaises prêtées par la mairie. Ou pas. En louer ailleurs.

Combien de chaises installe-t-on ? Combien de personnes prévues ? Aucune idée. Les gens ne lisent presque jamais la petite phrase-clé au bas de l’invitation : « Merci de nous dire si vous serez des nôtres. »

Trente chaises installées. Cinquante personnes débarquent. Pas de panique. Un petit coup de baguette magique et d’huile de coude, et tout le monde est assis.

Le chanteur doit chanter dans la cour du cloître, en plein air, sous le tendre soleil de juin. Il s’installe, jette un coup d’œil sur le ciel et… voit un tout petit nuage noir. Le chanteur remballe son matériel. Il ne veut pas chanter dehors, il ne veut pas se mouiller ; il chantera à l’intérieur, dans la salle… qui n’est pas encore prête à recevoir du monde, bien sûr.

L’acteur qui vient de Paris fait des bonds partout : sa valise ne l’a pas suivi, elle est partie sur Agen ! On est à Bergerac. Dans cette valise, il y a sa cape pour le monologue d’Hamlet, empruntée à la Comédie Française – excusez-nous du peu. L’acteur qui vient de Paris a besoin de sa cape : il a prévu… des effets de cape. Mais il ne jouera que le soir. Bergerac-Agen, ce n’est pas loin. Pour la personne qui fait l’aller-retour, peut-être un peu, quand même. (Pour l’anecdote à garder dans les annales : l’acteur qui vient de Paris, sans doute déstabilisé par cette catastrophe sans nom, est entré en scène… en oubliant sa cape dans les coulisses.)

L’invité vedette des Journées de Poésie téléphone :

– Je crois que je me suis trompé de train à Libourne. Je suis à Périgueux. Mais Bergerac n’est pas loin, il me semble. Une trentaine de kilomètres ? Ne vous inquiétez pas, je vais prendre un train.

Ah oui, mais non. Les trains directs Périgueux-Bergerac, ça n’existe pas. Il faut retourner sur Libourne. (Aller sur Le Buisson, aussi. Mais là, on entre dans l’exploration minutieuse de la Dordogne.) Et que les horaires des correspondances… correspondent. Et surtout, qu’il y ait encore un train.

Je ne me souviens plus qui a été chercher l’invité vedette à Périgueux. Peut-être la personne qui est allée récupérer la cape de l’acteur qui venait de Paris à Agen. (Mais bien sûr, cela ne s’est pas déroulé le même jour. Quand même.)

La peintre qui expose au Centre Culturel a une petite voiture. Et peint des toiles grand format. Très grand format. Beau, mais grand. A cette époque, il y avait Papi Louis et sa voiture. Une utilitaire. Très utiles, les utilitaires. Les toiles grand format rentrent. Mais la peintre qui expose au Centre Culturel habite à l’autre bout du département. Papi Louis était à la retraite, ça tombait bien.

Pour la soirée musique. La pianiste habite un sympathique appartement dans le vieux Bergerac, ses petites rues typiques et étroites, ses maisons à plusieurs étages avec leurs escaliers très étroits aussi, et qui tournent. Pourquoi je vous dis ça ? Parce que le piano électrique de la pianiste a fait plusieurs dangereux voyages dans un de ces escaliers très étroits et qui tournent. En bois ancien bien ciré. Un vrai miroir.

Ah ! Le repas au restaurant de fin de journées culturelles diverses et variées. Prévu à 13 heures. A 12 heures 55, tout le monde est encore au vin d’honneur, discutant autour de la dernière cacahuète.

 – Allez ! Tout le monde à table !

Et les serveurs du restaurant nous accueillent. Et tout le monde s’installe au gré des affinités. Et dix personnes restent debout, bêtement. Étonnement du patron du restaurant.

– Vous aviez réservé pour trente. Je ne comprends pas.

Oh, mais c’est tout simple. Comme presque personne ne lit la petite phrase-clé « Merci de nous dire si vous serez des nôtres » … Voilà voilà. On est quarante. Mais vous allez bien nous arranger le coup ?

Et un jour, une manifestation un peu classe est organisée dans un château. Son charmant cloître intérieur pour les prestations des divers artistes et le repas, digne d’un restaurant gastronomique. Petites tables avec nappes blanches, vrais verres, vraies assiettes et vrais couverts, une bougie pour l’ambiance. Traiteur pour le repas chaud. Et, allez savoir pourquoi, pendant la préparation de cet événement hors pair, panne d’électricité à répétitions ! L’installation électrique du château avait-elle l’âge canonique du château ? Plaisanterie de mauvais goût du propriétaire qui ne voulait plus de cette manifestation chez lui ? Le mystère reste entier. On peut toujours mettre ça sur le dos du pauvre château trop vieux. Le traiteur du repas chaud avait, heureusement, son groupe électrogène avec lui. Résultat des courses : on a évité le souper aux chandelles et à la lampe électrique.

Et puis… Et puis quand tout le monde est rentré chez lui, heureux de sa journée riche en poésie, musique et bon vin de Pécharmant, il y a celle qui a oublié ses lunettes de soleil mais elle ne sait pas où. Celui qui a oublié son blouson il ne sait pas où non plus. (A côté des lunettes de soleil, peut-être ?) Pierre qui a discuté avec Paul et Jacques, qui les a trouvés fort sympathiques mais n’a pas pensé à leur demander leur adresse, « Vous ne l’auriez pas, par hasard ? ». Mais bien sûr…

J’oubliais ! Les surprises de dernière minute : panne de nappe en papier pour les tables, panne de verres en plastique car beaucoup plus de monde au vin d’honneur que prévu (laver – et essuyer ! – des verres en plastique à vitesse grand V, c’est tout un art. Même pas sûr que ce soit au programme des études pour pouvoir travailler dans l’événementiel.) Téléphoner à la personne à qui l’on doit rendre la clé, à minuit comme prévu, et qui ne répond pas et pourtant elle avait dit qu’elle serait là. Zut ! il manque une table, ça ne disparaît pas comme ça, une table.

Et aussi, indispensable : la boîte à outils à avoir toujours sur soi. Contenant : un canif, un tire-bouchon de secours, une paire de ciseaux, un rouleau de Scotch – de préférence fourni avec ses petites dents qui coupent bien –, un rouleau de Sopalin, de la ficelle – quand les sacs-poubelles sont fournis sans lien pour les fermer –, éventuellement un mini marteau, un tournevis – plat et cruciforme ; mais il existe des outils à usages multiples, qui font même pince coupante et scie ! –, des mouchoirs en papier, du papier, un ou deux stylos car… « Vous n’auriez pas un stylo à me prêter, par hasard ? » – choisir des stylos auxquels vous ne tenez pas trop, le cadeau de votre banque ou de votre compagnie d’assurances, si vous ne voulez pas, ensuite… « Vous n’auriez pas un stylo à me rendre, par hasard ? » –, quelques cachets d’Aspirine, un tube de granules d’arnica et un de drosera composé – chute et problèmes de toux, pénible quand on doit parler devant un public –, et une petite statue de la Vierge ou de Sainte Rita, au choix.

Et avec ça, vous êtes paré pour accompagner au mieux les voyageurs inscrits – ou non – à cette croisière culturelle, et affronter vents et marées avec le sourire.

Et finalement, comme tout arrive, la mer redevient calme, le ciel bleu. Le chant des gens heureux résonne dans le lointain. Et toutes les personnes qui ont organisé la manifestation, harassées, fourbues, les pieds en compote, le dos en capilotade et le cerveau encore bouillonnant, sourient, affalées dans un fauteuil dont elles ne sortiront que plus tard, bien plus tard. A la fraîche.

Alors, le secret pour mener à bien des événements artistiques ? Mettre son plus bel habit de fourmi, d’abeille, de cheval de trait, de lionne. Et rester calme et serein. Toujours. ♦


Au revoir, Annie Delpérier

Joubert Jean Alain
26 mars 2019

 

 

« Lorsqu’un homme s’en va, il importe de dire, avant qu’il ne s’efface, tout ce qu’il a représenté pour nous, ce qu’il nous a donné et le bien qu’il a fait[1]. »

Annie Delpérier qui prononçait ses mots, il y a un an, n’est plus.

Elle nous quittait alors que José Corréa nous offrait un magnifique portrait.

Quelques traits, le personnage est là et aussi sa personnalité, sa majesté, son attention aux autres, sa générosité. Ce que l’on ne voit pas, c’est son immense talent de poétesse ; j’espère que sa succession aura à cœur de publier ses écrits afin que nous la gardions longtemps avec nous encore, à travers la beauté de son écriture.

Un mélange d’admiration et de crainte me fit appeler José.

Il ne put que me confirmer l’approche d’un deuil.

Deuil ressenti, je l’imagine, par tant de personnes avec lesquelles elle avait eu des relations au travers de ses activités culturelles, Les Amis de la poésie et l’Académie des Lettres et des Arts du Périgord (ALAP).

Après la disparition du poète et traducteur Bernard Lesfargues[2] en février 2018, proche d’Annie, c’est toute une époque féconde qui disparaît et nous laisse démunis. Une visite au poète[3], à l’éditeur, vers le début des années 2000, dans cette maison du grand-père « adossée à la grande forêt protectrice », débordant de livres, accompagné par Bernard Petit, me fascina et m’inspira, l’activité d’édition des Amis de la musique française.

Bernard Lesfargues dans son bureau, Église-Neuve-d’Issac,  2004 © Photo Jean Alain Joubert

Les souvenirs surgissent, même si j’ai moins côtoyé Annie que bien d’autres qui étaient des fidèles des Amis de la poésie. Mon amie, la poétesse Marie-Hélène Douat[4], l’appréciait particulièrement. Marie-Hélène, a été publiée par les soins d’Annie dans Le Poémier de Plein Vent[5], je retrouve son recueil Blanche négritude (Prix Jean Michel Walzer 2007, de la Ville de Bergerac). Il y eut plus récemment, le Poémier no 146, Notes bleues, publié en 2015. Ces deux numéros de la collection rejoignaient ceux consacrés aux poésies de Catherine Guillery, Marcelle Delpastre, Danièle Labatsuzan, Madeleine Lenoble, Bernard Sintès, Bernard Lesfargues, Michel Lasserre, Bernard Duteuil…

En juin 2000, Annie était venue aux Rolphies, pour un moment poésie avec le petit cercle amical constitué de Renée Daubricourt, Denise Robin (assise à droite d’Annie sur la photo), d’Émilie Dalençon, de Lucienne Fabre-Doré… et, venue de Saint-Laurent d’Olt, la poétesse Marie-Hélène Douat (à la gauche d’Annie sur la photo).

Aux Rolphies, avec Annie Delpérier, Denise Robin, Marie-Hélène Douat, 25 juin 2000 © photo JAJ

Je me souviens d’une visite à la Chartreuse de Pécharmant. Mais aussi d’une foule pour un hommage à Marcelle Delpastre[6] présente parmi nous avec son ami Jan dau Melhau[7]. Les rencontres au Couvent des Récollets ou au Caveau de la Vinée.

Je serais très ingrat si je ne parlais pas de la soirée qu’Annie avait organisée, en 2001, pour la première conférence donnée par un jeune musicologue de Marseille, mon ami Lionel Pons. Elle avait réuni au Caveau de la Vinée tous ses amis et Lionel nous présenta le compositeur Henri Sauguet, qui n’était pas un inconnu chez nous, puisque né à Bordeaux, il passait ses étés à Coutras dans La Maison des chants. Depuis Lionel est un conférencier émérite, un vaste public le suit fidèlement chaque semaine à Marseille.

Et il y eut, naissant ce jour-là, une amitié fédératrice avec Jeannine Lasserre, proche amie d’Annie. Pour celle-ci nous avions de la tendresse et elle en avait vraiment pour nous. Belle âme entre toutes. Jeannine Lasserre fut le plus beau cadeau que nous fit Annie Delpérier. Jeannine était par ailleurs l’amie de Marcelle Delpastre dont elle parlait toujours avec émotion.

Ce temps, celui de la cinquantaine, en ce qui me concerne, était celui des beaux jours, d’une certaine insouciance, du temps libéral et potentiellement créatif. Au cœur de ce jardin botanique qui atteignait son épanouissement, notre groupe culturel était florissant et affectif. La création de l’association Les Amis de la musique française avec de jeunes musicologues en herbe qui aujourd’hui ont fait magnifiquement leurs preuves, fut mon rêve qui devint réalité.

Annie était une amoureuse des mots et du Pays. Son soutient était presque sacrificiel et ardent pour les Artistes et les Gens de Lettres qu’elle affectionnait. Toute sa vie était dédiée à la poésie. Elle avait créé la revue trimestrielle La Toison d’or ainsi que sa propre maison d’édition dont les recueils Le Poémier de Plein Vent que j’évoque plus haut.

En 1987, elle avait pris la présidence de l’association des Amis de la Poésie à Bergerac et avait créé les Journées de la Poésie qui se déroulaient chaque année, en principe, le second week-end de juin.

En 2010, elle devint Présidente de l’Académie des Arts et des Lettres du Périgord qu’avait fondé, en 1963, Guy de Lanauve.

Hommage à une Grande Dame qui nous manque déjà, ayant emporté avec elle une part importante de ce que furent les belles années de nos vies. Merci Annie ! Demeurera notre indéfectible gratitude et affection. ♦


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[1] Annie Delpérier, Deuil Occitan, Bernard Lesfargues, 1924-2018, Cailloux blancs d’un itinéraire.

[2] Abel Bernard Lesfargues (1924-2018), poète, traducteur, défenseur des langues minoritaires des auteurs occitans, catalans et espagnols. « Poète, occitaniste, éditeur et traducteur considérable, Bernard Lesfargues s’est éteint le 23 février 2018, en début de matinée, au château de Bassy à Saint-Médard-de-Mussidan. Le jour de ses obsèques, sur la place de l’église du petit village d’Église-Neuve-d’Issac, jouxtant sa propriété, une foule d’amis connus et anonymes, venus de tous les horizons, se réunissait autour de sa famille, le cœur étreint, pour ce dernier rite de l’accompagnement, avant les mystères de la métamorphose et le silence de la nuit. » (Annie Delpérier, Deuil Occitan, Bernard Lesfargues, 1924-2018, Cailloux blancs d’un itinéraire.) Bernard Lesfargues avait 93 ans au moment de sa disparition. « Fils d’un marchand de bois et de charbon de Bergerac, il grandit dans un quartier populaire, vivant et animé, tout en suivant une scolarité solide au Petit Séminaire de la cité périgourdine. Très tôt, son goût pour la littérature l’affranchit du réel, lorsqu’il s’évade un livre à la main dans un cerisier comme dans une retraite idéale. » (Philippe-Jean Catinchi, le 28 février 2018, Le Monde.) Après de brillantes études, il enseignera à Paris (Janson-de-Sailly) puis à Lyon. Les rencontres vont se multiplier. Il se familiarise avec les phares de l’Institut d’Estudis Occitans (IEO), association culturelle fraîchement créée qui milite pour le maintien et le développement de la langue comme de la culture occitanes : Pierre Bec, Max Rouquette, Bernard Manciet, Robert Lafont… Obstinément sûr de ses choix, à la tête des éditions Fédérop (Les éditions Fédérop ont été reprises en 1999 par Bernadette Paringaux), fondées à Lyon en 1975 par un groupe d’amis, en reprenant le nom d’une librairie politique très liée aux italiens du Mouvement Fédéraliste Européen, il reprendra la collection ‟Solaire” créée par François-René Daillie, et publiera, en 160 titres, des textes rares et dignes de prendre place dans une littérature de classe internationale. Citons : Ouvrir les Yeux de Paul Gravillon, Journal d’un pèlerin vielleux et mendiant sur le chemin de Compostelle du troubadour limousin Jan dau Melhau : « qui use d’un français remarquable et sait se déshabiller » dira son éditeur, Les guerriers nus, de Jean-Marie Lamblard, Dix-huit petits poèmes pour la patrie amère, de Yannis Ritsos, Requiem pour un paysan espagnol de Ramon Sender… Aussi, lorsque Vicente Aleixandre obtiendra le Nobel en 1977, Fédérop sera le seul éditeur français à l’avoir édité, et Gallimard rachètera dans la nuit, les droits en catastrophe. » (Annie Delpérier, Deuil Occitan, Bernard Lesfargues, 1924-2018, Cailloux blancs d’un itinéraire). Il fut également le fondateur de la revue Taillefer, pour la mise en valeur du canton méconnu de Villamblard. « Traducteur du prix Nobel péruvien Vargas Llosa et du Catalan Joan Sales, Bernard Lesfargues excellait dans cet art tout de finesse et de sensibilité. Mais là où il mettait tout son cœur et ses tripes, c’était en poésie dans laquelle il faisait exploser le soleil intérieur qu’il transformait en un feu intérieur enivrant. Attaché à notre terroir et à sa thébaïde familiale, Bernard Lesfargues était un savant, un sachant, un maître et un ami précieux. » (Christian Régnier, Prix Bernard Lesfargues de la traduction de l’Académie des lettres et des arts du Périgord)

[3] « Connaître Bernard, dans sa vaste ‟librairie” tapissée d’ouvrages, dont la porte est ouverte en permanence à tous ceux qui viennent là, chaque jour, chercher un document, étudier, interroger, partager son immense savoir, c’est découvrir un homme à la générosité sans limite, aux souvenirs intarissables. Sa passion de former des êtres, de les élever, de leur faire prendre conscience de leur identité, de leur histoire, conduira le poète catalan Jep Gouzy, à proclamer, au cours d’une soirée de poésie au Caveau de la Vinée de Bergerac : “Nous sommes tous des enfants de Lesfargues”. » (Annie Delpérier, Deuil Occitan, Bernard Lesfargues, 1924-2018, Cailloux blancs d’un itinéraire).

[4] Marie-Hélène Douat, poétesse, habite l’Aveyron. Rapidement remarquée par Annie Delpérier elle avait reçu des prix en 1995, 1996, 1997, 1998, 2000, 2001 et 2006 (Prix Fénelon, Prix des Armoises à deux reprises, Prix Sophie Decaux, Prix Simone Grignon). En 2003, elle avait reçu le Prix du Recueil de la Ville de Bergerac pour Transhumance, puis elle avait obtenu le prix Jean-Michel Walzer, en 2007, pour Blanche Négritude, édité par Annie dans sa collection Le Poémier de Plein Vent (no 101) ; en 2015, elle avait été récompensée par le prix Audrey Bernard de la Ville de Bergerac, pour l’ensemble de son œuvre.

[5] Le Poémier de Plein Vent existe nous dit Annie « en souvenir de ces arbres de plein vent, poiriers et pêchers dans nos vignes autrefois, qui portaient des fruits sauvages, menus, mais d’une saveur sans égale. »

[6] Marcelle Delpastre (1925-1998), native de Germont sur la commune de Chamberet (Corrèze), auteure Limousine de langues occitane et française. Fille, petite-fille, arrière-petite-fille de paysans limousins, elle naît au cœur de la civilisation paysanne. Chez elle Marcelle Delpastre entend et apprend deux langues, l’occitan et le français. Elle obtient le baccalauréat philosophie-littérature au collège de Brive-la-Gaillarde. Elle fait ensuite un passage à l’École des Arts décoratifs de Limoges. En 1945 Marcelle Delpastre retourne vivre dans la ferme familiale de Germont où elle sera paysanne tout le restant de sa vie. Tout en travaillant, qu’elle soit occupée à traire les vaches ou à conduire le tracteur, elle ne cesse de réfléchir à des sujets de poésie, à des vers, à des rimes. La poésie l’accompagne toute la journée et elle garde dans sa poche un carnet sur lequel elle note les vers et les idées qui lui viennent à l’esprit, idées qu’elle retravaille ensuite pendant la nuit. À la fin des années 1940 et au début des années 1950, alors que ses cahiers de poèmes et de notes commencent à s’entasser, Marcelle Delpastre envoie des textes à quelques revues et anthologies de poésie. Il faut dire que plusieurs de ses correspondances littéraires l’y encouragent depuis longtemps. De petites publications en petites participations, elle se fait peu à peu connaître et apprécier du milieu littéraire limousin. Au début des années 1960, Marcelle Delpastre constate avec douleur la mort de son petit village de Germont et avec lui de toute la civilisation paysanne pourtant millénaire en Limousin. Les tracteurs remplacent les bœufs, les machines remplacent les outils et la main de l’homme, la télévision remplace les veillées par lesquelles la tradition orale se transmettait… C’est à ce moment que la Marcela (comme l’appellent ses amis en occitan) commence à beaucoup s’intéresser aux contes, proverbes et traditions de son pays limousin. Elle fait à cette époque la rencontre de Robert Joudoux de la revue régionaliste Lemouzi et de Jean Mouzat (auteur occitan limousin). La première œuvre en occitan de Marcelle Delpastre est La lenga que tant me platz (La langue qui tant me plaît). À partir de ce moment, Marcelle Delpastre décide d’écrire en occitan limousin, du Limousin et sur le Limousin. Au milieu des années 1960, elle se met à collecter et à réécrire des contes traditionnels limousins. Le premier recueil est publié en 1970 sous le titre Los contes dau Pueg Gerjant (Les Contes du Mont Gargan), encore aujourd’hui souvent réédités dans des recueils de contes français. Parallèlement à cela elle commence à faire œuvre d’ethnologue de son pays avec Le tombeau des ancêtres : Coutumes et croyances autour des fêtes religieuses et des cultes locaux. Si elle n’était pas une grenouille de bénitier, Marcelle Delpastre avait cependant une très forte foi en Dieu tout en acceptant, comme la plupart des Limousins, différentes traditions païennes propres à ce pays. En 1968 est publié La vinha dins l’òrt, poème primé au concours Jaufré Rudel. Sa version française (La Vigne dans le jardin) sera mise en théâtre en 1969 par la troupe de Radio-Limoges, troupe qui montera dans les années 1970 d’autres textes de Delpastre (L’Homme éclaté, La Marche à l’étoile). Marcelle Delpastre continue d’écrire des poèmes et seulement quelques-uns d’entre eux sont publiés à l’époque dans les revues Lemouzi, Traces, Poésie 1, Vent Terral ou encore Oc. En 1974, Los Saumes pagans (Psaumes païens) sortent dans la collection Messatges de l’Institut d’Estudis Occitans. C’est ce recueil de poèmes qui la fit véritablement connaître de tout le milieu littéraire occitan. Dans Le bourgeois et le paysan, Delpastre continue d’étudier les coutumes, les croyances et la tradition orale du Limousin, cette fois sur le thème du feu. Plus tard ce sera le tour des bêtes sauvages et domestiques d’être à l’honneur dans son Bestiari lemosin, (Bestiaire limousin) naviguant entre réalité et mythologie. Dans les années 1970 Marcelle Delpastre fait deux rencontres importantes, celles de Michel Chadeuil et de Jan dau Melhau, deux jeunes auteurs en langue limousine. Elle participera régulièrement à leur revue Lo Leberaubre dont le titre est une contraction de leberon (loup-garou) et d’aubre (l’arbre). Marcelle Delpastre commence à être connue des Limousins pour ses interventions et ses entrevues dans la presse locale (Limousin Magazine, La Montagne, L’Écho du Centre, Le Populaire du Centre…) et aussi de tous les occitanistes grâce aux revues et surtout Connaissance des Pays d’Oc (par la plume d’Yves Rouquette). Dans ses dernières années, Marcelle Delpastre a beaucoup travaillé en compagnie de son ami Jan dau Melhau pour faire sortir de la poussière des centaines de textes inédits. Dans les années 1990, les éditions Payot publient les versions françaises de plusieurs de ses textes en prose et Bernard Pivot l’invite dans son émission Bouillon de Culture. Atteinte de la maladie de Charcot, Marcelle Delpastre décède le 6 février 1998 dans sa ferme de Germont où elle est née, où elle a toujours vécu, travaillé et écrit. Jan dau Melhau, son légataire universel, continue et termine d’éditer l’œuvre intégrale de Delpastre aux éditions Lo chamin de Sent Jaume (les ouvrages sont accessibles aux non-occitanophones car édités en version bilingue occitan-français). Les manuscrits de Marcelle Delpastre sont aujourd’hui conservés à la Médiathèque Municipale de Limoges. Poète, conteuse, romancière et ethnologue, Marcelle Delpastre est aujourd’hui reconnue comme l’un des plus grands écrivains occitans du XXe siècle (au côté de Joan Bodon, Bernard Manciet, René Nelli ou encore Max). Le message de cette femme, elle qui n’a jamais quitté sa terre limousine, s’étend à l’universel et parle pour tous les hommes, c’est ce qui fait la force et la beauté de son œuvre. (D’après la page WikipédiA consacré à Marcelle Delpastre).

[7]Jan dau Melhau, né Jean-Marie Maury en 1948 à Limoges est à la fois écrivain, musicien, chanteur, conteur, éditeur d’occitan du Limousin. Il est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Toulouse. Puis il obtiendra une ensuite une maîtrise de philosophie. Objecteur de conscience, dans les années 1970 il fait un retour à la terre en Haute-Vienne. Dans le même temps il devient une des têtes d’affiche de la chanson occitane, marginale par ses sujets de prédilection : la nature, les bêtes, les hommes et la mort. Auteur et éditeur des Belles Lettres Occitanes Limousines, avec Marcelle Delpastre, Paul-Louis Grenier, il s’intéresse surtout à la beauté de la langue occitane, à sa force littéraire. Il continue aujourd’hui d’œuvrer pour le Limousin avec sa maison d’édition Lo Chamin de Sent Jaume (le Chemin de Saint-Jacques) à Meuzac, avec ses propres écrits ainsi qu’avec ses spectacles de contes et de chansons. Il est également cofondateur, avec Micheu Chapduelh (Michel Chadeuil), de la revue limousino-périgourdine, Lo leberaubre. (D’après WikipédiA)

 

 

Portfolio

Les Amis de la poésie – remise des prix, Bergerac

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